
Les églises caennaises,
le reflet du pittoresque
Certaines œuvres présentées dans l’exposition reflètent une esthétique romantique où le pittoresque domine, proposant une vision sublimée du patrimoine urbain et naturel de Caen. Ce regard artistique, influencé par des théoriciens comme William Gilpin (1724-1804), repose sur une combinaison harmonieuse d’éléments naturels et bâtis, soigneusement orchestrés pour séduire l’œil et l’esprit.

Le romantisme et les représentations pittoresques de la ville
Le romantisme, né en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle avant de s’étendre à toute l’Europe jusqu’au milieu du XIXe siècle, célèbre une rupture avec les canons classiques et le rationalisme des Lumières. En exaltant l’émotion, le rêve, et une vision poétique de la nature, ce courant artistique a influencé nombre d’artistes. Les édifices gothiques et les ruines médiévales deviennent la source d’exaltation de ces œuvres.
À Caen, la richesse de l’environnement urbain et naturel offre une matière idéale pour exprimer cette esthétique : les quartiers se dévoilent dans leur diversité, avec leurs édifices gothiques, leurs maisons anciennes, et leurs ruelles sinueuses. Le pittoresque, qui valorise l’irrégularité et les styles vernaculaires, épouse parfaitement ces paysages. Les ponts qui relient les quartiers, les murailles chargées d’histoire et le chevet de l’église Saint-Pierre « les pieds dans l’eau », composent un tableau où se mêlent magnificence du réel et une charge émotionnelle et narrative.


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David ROBERTS (1796 - 1864),
L'Église Saint-Pierre de Caen, 1830, Aquarelle sur papier épais collée sur carton de fonds orné de filets or et encre de lavis, vernis localement.
Acquisition du musée par achat en vente publique en 1987. Inv. 87.2.1
Malgrès tout l’attrait romantique pour les sites historiques de Caen dépasse l’église Saint-Pierre, même si celle-ci est un emblème central de la ville. L’attention portée à d’autres lieux, comme la salle des Gardes de l’abbaye aux Hommes, illustre une volonté plus large de représenter le patrimoine architectural sous un prisme romantique, mêlant monumentalité et scènes de vie pittoresque.

Félix BENOIST (1818 - 1896),
Eglise Saint-Nicolas, à Caen, 1801- 1900, Dessin au crayon graphite sur papier vélin
Acquisition du musée par don de la Société des Amis du Musée des Beaux-Arts de Caen
après achat à la galerie de Didier Martinez en 2017. Inv. 2017.3.4
L'arrivée de la notion de patrimoine dans les estampes
Au XIXe siècle, la notion de patrimoine émerge et fait naître une prise de conscience de l’importance de sa conservation. Les dessins de Félix Benoist (1818-1896) s’inscrivent dans cette démarche : il ne cherche pas à sublimer les édifices dans une optique pittoresque, mais adopte une approche patrimoniale, visant à les documenter et à les cataloguer.

Félix BENOIST (1818 - 1896),
Vue de l’église Saint-Jean à l’angle de la rue des Carmes, XIXe siècle, Dessin au crayon graphite sur papier vélin crème.
Acquisition du musée par don manuel de la Société des Amis du Musée des Beaux-Arts de Caen en
2017. Inv. 2017.3.3
Cette orientation contraste avec les représentations romantiques, qui ont souvent négligé certaines églises. L’église Saint-Nicolas, construite à partir de 1083 et joyau de l’architecture romane, se trouve alors à l’écart des principaux axes d’activité de la ville et ne se trouve pas insérée dans un paysage évocateur. Elle échappe ainsi à l’imaginaire romantique des artistes. De même, l’église Saint-Jean, enclavée dans un quartier aux espaces restreints, ne bénéficie pas encore d’un environnement dégagé qui valoriserait son architecture gothique. L’absence de recul nécessaire pour saisir ses lignes architecturales et sa composition visuelle limite sa représentation dans les œuvres illustrées.

Le saviez-vous ?
Théophile Gautier (1811-1872), poète et romancier, capture dans son récit de voyage Quand on voyage (1865) l’essence romantique de Caen et son charme pittoresque. Il écrit :
« Si vous voulez voir Saint-Pierre de Caen dans toute sa beauté, il faut vous placer de l’autre côté du ruisseau qui baigne son chevet. C’est là que s’assoient les aquarellistes, sur une pierre du quai. De cet endroit, la vue se compose admirablement bien ; vous avez à gauche un pont à voûte surbaissée où s’appuient des maisons ou plutôt des baraques chancelantes, irrégulières, à étages surplombants, à toits désordonnés, dont les lignes rompues font ressortir l’élégante architecture de l’église. Le cours du ruisseau, obstrué de pierres, de tessons, de plantes aquatiques, d’oseraies qui ont pris racine sur la berge, forme un premier plan arrangé à souhait ; à droite s’affaissent quelques vieilles maisons lézardées. Au milieu de cela, le chevet se détache avec sa rotonde de croisées à meneaux, ses galeries trouées à jour, ses rinceaux soutenus par des enfants qui sont des amours aussi bien que des anges, et toute sa gracieuse ornementation, où le goût gothique se mêle à celui de la Renaissance. »
Cette description, vivante et poétique, montre comment le mélange de nature et de bâti inspire une esthétique où l’irrégulier devient sublime.