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Mieux comprendre les estampes de Dürer

Melancolia I

melancolia

Gravure réalisée au burin sur cuivre en 1514, à Nuremberg en Allemagne. 

Le sujet central de cette estampe est une figure féminine, ailée, énigmatique et sombre qui est considérée comme étant une personnification de la mélancolie.

On peut penser que Dürer l’a associé à la mélancolie de l’activité créatrice : une muse qui attendrait l’inspiration qui ne vient pas. En ce sens, il pourrait s’agir d’un autoportrait voilé. 

La Mélancolie a engendré d’autres interprétations en raison de sa complexité et de sa portée symbolique. Elle serait également une personnification de la géométrie, la figure féminine est représentée à la façon de l’iconographie médiévale traditionnelle. Ce qui est original dans cette œuvre, c'est que l’artiste mêle un sujet Renaissance à un style qui garde encore des empreintes de l’époque médiévale qui précède.

 

Elle porte un trousseau de clés et une bourse à sa robe et qui sont symboles de puissance et de richesse. La personnification de la géométrie peut être lue par la présence de la cloche, du sablier, de la balance et du cadran solaire. D’autres instruments mathématiques sont également visibles : une sphère, un compas (attributs de Mercure) et un carré magique (attribut de Saturne). Au sol, se trouvent divers outils du travail artisanal : une scie, des clous, un marteau, ce qui peut venir symboliser le caractère artisanal de cette pratique.

Cette mixité entre les références appartenant aux arts libéraux (évoqués symboliquement par la présence de l’échelle également) et celles de l’artisanat sont symboliques du travail artistique. Dürer revendique ici, à la fois le caractère pratique, mais aussi éminemment intellectuel de sa pratique. 

En haut à gauche, nous pouvons déceler le titre de l’œuvre. Il est à noter que Dürer ne titre pas en principe ses œuvres, ce qui nous informe de l’importance de cette estampe. Le titre se trouve au niveau de l’astre, qui pourrait être Saturne, divinité de la mélancolie. 

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La balance exprime quant à elle la notion de jugement et serait ici en relation avec un jugement de nature apocalyptique. Le temps est représenté avec le sablier et il est suggéré par la posture d’attente de la femme. Le polyèdre représenté au second plan reste en revanche un mystère et ne fait pas l’objet d’une interprétation claire.

Globalement, l’œuvre est interprétée sous trois angles différents : le titre de la gravure peut être rapproché de la théorie des humeurs prônée par Marsile Ficin dans ses Trois vies. La gravure peut aussi faire l’objet d’une explication astrologique : l’influence néfaste de Saturne, astre responsable de la mélancolie. Elle peut enfin être interprétée comme un autoportrait spirituel de l’artiste, l’association de Mercure et de Saturne étant considérée comme la plus propice à l’activité créatrice. 

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En tout cas, cette œuvre constitue un chef-d’œuvre technique, d’une variété d’exécution et de détails sans égale.

Cette œuvre incarne la sphère intellectuelle de la trilogie.

Le Chevalier, la Mort et le Diable

Réalisée en 1513 à Nuremberg en Allemagne, cette gravure sur cuivre de style gothique est d’une complexité et d’un symbolisme remarquables, mais encore débattus. 

La gravure, comme son nom l'indique, représente trois sujets centraux : le chevalier sur son cheval en premier plan, la mort sur une mule et le diable sur la droite. Le chien symbolise la foi et le lézard qui s’enfuit en sens inverse est associé au zèle envers Dieu.

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La mort, incarnée par un cadavre en décomposition, porte un sablier qui est symbole de l’éphémère. Le diable est une imagination purement fictive. Le chevalier semble presque snober ces deux figures, ce qui peut être interprété comme un symbole de courage. Le parcours du chevalier peut symboliser le voyage des chrétiens vers le royaume de Dieu, mais aussi une vie active et combattante risquée. Le chevalier semble être presque sous terre avec le monticule qui le dépasse en arrière-plan, ce qui contraste avec le château beaucoup plus loin, mais en hauteur vers le ciel.

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La qualité représentative du cheval vient refléter les progrès faits à la Renaissance en termes de sciences naturelles et d’anatomie. La mort, le diable et le paysage sont tous rendus d’une manière sombre, typiques de la Renaissance nordique. En bas à gauche, on peut voir la façon typique de signer de Dürer, ses initiales sont encadrées dans une tabula ansata. Le fait d’avoir signé à côté d’un crâne peut incarner une sorte de memento mori. 

Cette gravure incarne l’aspect moral de la trilogie.

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Saint Jérôme dans sa cellule

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Gravure au burin réalisée en 1514 à Nuremberg en Allemagne. 

Saint Jérôme incarne l’érudit chrétien humaniste tel que le prônait Érasme. Il est représenté derrière son bureau d’étude avec ses livres. La lumière est rendue de façon remarquable avec un habile jeu de dégradés provenant des fenêtres sur la gauche et qui symbolise l’inspiration divine qui touche le vieil homme. Il serait en train de traduire la Bible et les rayons de lumière viennent symboliser l’inspiration divine.

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On retrouve ici aussi le crâne, ainsi qu’une croix symbolisant le memento mori. Le lion qui garde le seuil de la porte fait partie de l’iconographie traditionnelle associée à Saint-Jérôme, ainsi que le chien. L’image est également remplie de multiples petits objets faisant allusion à des épisodes de la vie du saint. La composition est intimiste et calme. 

Cette dernière œuvre incarne la sphère théologique et la vie contemplative au sein de cette trilogie. 

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Ces trois gravures n’ont à première vue rien en commun, pourtant on remarque tout de même une cohérence symbolique avec sur chacune d’elles la présence d’un crâne, un chien et un sablier. La cohérence d’ensemble est également décelable dans le travail très minutieux du détail. La robe de la mélancolie, les rayons de lumière, les muscles du cheval ou du chien sur chacune des trois œuvres, sont la marque typique de Dürer.

Pour compléter cette trilogie 

Un véritable double portrait d’Albercht Dürer de Nuremberg, prince des peintres allemands

Gravure réalisée en 1528, à Nuremberg en Allemagne.

Cette gravure est particulière puisqu'il s’agit d’un double autoportrait de l’artiste, même si Dürer a l’habitude de s'auto-intégrer dans ses œuvres par l’intermédiaire de sa signature. Ici, il se représente comme sujet central de son œuvre, ce qui peut paraître étonnant.

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Il est représenté en pied debout des deux côtés d’une table devant une arcade. Il est également entouré de divers instruments associés à son travail de peintre, de graveur et de théoricien de l’art.

La maîtrise de la perspective est remarquable dans cette œuvre, elle est rendue à la perfection avec la profondeur et le jeu des dimensions de la galerie. Le travail de la table en bois retient aussi notre attention : le travail de l’écorce y est remarquable. 

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Cette gravure est particulièrement complémentaire aux trois autres. À travers cet ensemble, on peut avoir une vision globale de la façon dont procède Dürer, notamment dans sa façon de signer. Sur les trois premières, l’artiste signe avec ses initiales alors que dans la dernière, il signe d’une façon assez singulière puisque c’est son double autoportrait qui fait office de signature.

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